Les produits de rupture

Introduction

Les produits de rupture, ou disruptive products, se définissent comme des innovations ayant pour effet de transformer les comportements, en s'attaquant aux pratiques existantes pour proposer des solutions alternatives, souvent plus responsables et plus efficaces. Dans un contexte où les défis environnementaux et sociaux sont de plus en plus pressants, les produits de rupture occupent une place stratégique en catalysant des transformations durables au sein des économies modernes. Une catégorie de plus en plus pertinente est celle des innovations orientées développement durable, qui visent à minimiser les impacts environnementaux négatifs et à améliorer l'équité sociale tout en maintenant une viabilité économique.

Ce chapitre vise à explorer l'exemple de l’application Too Good To Go (2G2G) comme un cas d’école de produit de rupture ancré dans une démarche de développement durable. Too Good To Go propose une solution innovante pour lutter contre le gaspillage alimentaire, un problème crucial à la fois du point de vue environnemental et socio-économique. Ce produit de rupture nous permet d'analyser comment une innovation peut restructurer les comportements d'achat et d'optimisation de la consommation, en valorisant des ressources alimentaires jusqu’alors inexploitées. À travers deux visions différentes de leur modèle économique, nous examinerons l’efficacité de ces approches et leur potentiel à soutenir la transition vers une économie durable.

1.1. Le Concept de Rupture et son Application au Développement Durable

Le concept de produit de rupture, tel que défini par Clayton Christensen (1997), implique un changement fondamental de paradigme au sein d'un marché existant. Les produits de rupture créent souvent une nouvelle demande en ciblant les besoins non satisfaits d’une population négligée par les offres traditionnelles. Dans le cadre du développement durable, ces produits s’attaquent à des pratiques écologiquement et socialement insoutenables, en proposant des solutions viables pour minimiser les externalités négatives.

Les innovations durables de rupture visent ainsi des objectifs qui vont au-delà de la simple efficacité économique, en cherchant à résoudre des problématiques globales telles que la réduction des déchets, la diminution des émissions de gaz à effet de serre, et la valorisation des ressources. Too Good To Go, en s’inscrivant dans cette démarche, met en œuvre une innovation qui permet de donner une seconde vie aux invendus alimentaires, réduisant ainsi le gaspillage et les ressources nécessaires pour gérer ces surplus.

1.2. Too Good To Go : Une Solution de Rupture pour Lutter Contre le Gaspillage Alimentaire

Too Good To Go, fondée en 2016, est une start-up qui propose aux commerces de vendre leurs surplus de produits alimentaires invendus à des prix réduits, via une application mobile. Ce modèle permet de relier les consommateurs aux commerces ayant des excédents alimentaires, contribuant ainsi à réduire les pertes alimentaires. En 2023, on estime qu'environ un tiers des aliments produits dans le monde sont gaspillés chaque année, ce qui représente un impact considérable sur les ressources naturelles (FAO, 2019).

En offrant une alternative simple et accessible pour valoriser les invendus, Too Good To Go se positionne comme un acteur de rupture dans le secteur de la restauration et de la distribution alimentaire. Cette démarche répond à une demande croissante des consommateurs pour des options responsables et à moindre coût, en plus d'offrir aux commerçants un moyen de générer des revenus additionnels tout en évitant les coûts associés à l'élimination des invendus.

1.3. Les Implications Socio-Économiques et Environnementales

L’impact de Too Good To Go dépasse la simple réduction du gaspillage. En créant un marché pour les invendus, la start-up contribue indirectement à sensibiliser le public à l'importance de la consommation responsable. L'application répond à des défis socio-économiques, notamment en offrant aux populations à revenus modestes un accès à des produits alimentaires de qualité à un prix réduit. Par ailleurs, cette initiative diminue l'empreinte écologique des commerces participants en limitant le gaspillage et en réduisant les émissions de CO₂ associées au traitement des déchets alimentaires.

Chapitre 2 : Modèles Économiques et Scénarios de Développement de Too Good To Go Introduction

Pour comprendre les perspectives d’évolution de Too Good To Go, il est essentiel d'examiner les visions potentielles de leur modèle économique. Deux approches se distinguent : l’une axée sur la valorisation des invendus et l’optimisation des processus pour rendre les repas plus abordables, et l'autre orientée vers la transition écologique, en mettant l'accent sur la lutte contre le gaspillage alimentaire avec un soutien accru des pouvoirs publics. Enfin, une troisième vision est nécessaire pour illustrer l’évolution réelle de Too Good To Go depuis sa création en 2016, qui reflète une combinaison d’optimisation économique et d’engagement social, avec des partenariats stratégiques et une expansion à l’international.

2.1. Vision 1 : Valorisation des Invendus et Optimisation des Processus

La première vision propose de donner une valeur aux invendus, en se concentrant sur des stratégies d'optimisation similaires à celles utilisées dans l'industrie. Dans ce scénario, Too Good To Go s’inscrit dans une logique de rentabilisation des excédents, où les invendus alimentaires sont vus comme une ressource à optimiser. En utilisant des méthodes avancées de data science, Too Good To Go pourrait aider les commerces à ajuster leur offre de repas en fonction de la demande prévisionnelle, minimisant ainsi la production de surplus tout en maximisant les profits.

Cette approche trouve un écho dans les théories d'optimisation opérationnelle, qui sont souvent employées dans les grandes entreprises pour améliorer la rentabilité des processus. La restauration indépendante, en particulier, pourrait bénéficier de ce type de solution en accédant à des outils de prévision et de planification similaires à ceux des grandes chaînes de distribution. Cependant, ce modèle pose des questions : si Too Good To Go optimise les commandes au point de minimiser les invendus, cela pourrait limiter le besoin pour une plateforme spécialisée dans la revente de surplus. Un tel scénario pourrait signifier la fin de Too Good To Go sous sa forme actuelle.

2.2. Vision 2 : Transition Écologique et Lutte Contre le Gaspillage

La seconde vision de Too Good To Go repose sur un modèle qui privilégie la transition écologique et la lutte contre le gaspillage alimentaire. Cette approche pourrait inclure un partenariat plus étroit avec les pouvoirs publics et les organisations à but non lucratif pour encourager la redistribution des invendus. Contrairement à la première vision, qui cherche à optimiser pour maximiser les revenus, ce modèle mettrait l'accent sur l'impact social et environnemental.

Ce scénario ouvre la voie à un business model basé sur la donation ou la subvention publique, rendant les invendus disponibles aux plus démunis gratuitement ou à des prix symboliques. Cependant, un tel modèle pourrait freiner la croissance actuelle de Too Good To Go, en limitant ses marges de profit. L’application pourrait alors évoluer vers une plateforme hybride, où les invendus sont en partie vendus, en partie donnés. Bien que cette approche corresponde davantage aux objectifs de durabilité, elle nécessiterait un soutien financier important et pourrait restreindre le développement rapide que l’entreprise connaît aujourd’hui.

2.3. Vision 3 : L’Évolution Réelle de Too Good To Go depuis 2016

Depuis sa création en 2016, Too Good To Go a suivi une trajectoire qui combine des aspects de valorisation des invendus, de croissance économique, et de transition écologique. L’approche adoptée est à la fois pragmatique et sociale, utilisant des stratégies d’optimisation pour maximiser les revenus des commerçants partenaires tout en soutenant des campagnes de sensibilisation et en s’engageant dans des partenariats publics et privés pour renforcer son impact environnemental.

Expansion Internationale et Croissance Rapide : Après avoir lancé son application au Danemark en 2016, Too Good To Go s'est rapidement étendu à d'autres marchés européens (France, Royaume-Uni, Allemagne) et a récemment pénétré le marché nord-américain. La croissance de Too Good To Go témoigne d'une réponse favorable à l’échelle internationale, avec aujourd'hui des millions de repas sauvés et une présence dans 17 pays (Too Good To Go, 2023).

2.4. Évaluation des Scénarios et Perspectives d’Avenir

Les trois visions proposées pour le développement de Too Good To Go — l’optimisation des invendus, la transition écologique, et la trajectoire d’évolution réelle de l'entreprise — offrent des perspectives complémentaires. La première vision permet une maximisation des profits par l'optimisation, tandis que la seconde privilégie un impact environnemental et social direct. La trajectoire réelle, cependant, montre qu'une approche hybride est possible, combinant croissance économique et responsabilité sociale.

Too Good To Go semble avoir trouvé un équilibre pragmatique, en intégrant l’optimisation économique dans un modèle à fort impact écologique. Ce modèle lui permet de maintenir une croissance rapide tout en répondant aux défis de durabilité. En continuant de développer ses partenariats stratégiques, de sensibiliser les consommateurs, et d’étendre ses services à l’international, Too Good To Go se positionne non seulement comme une plateforme économique, mais aussi comme un acteur influent de la lutte contre le gaspillage alimentaire.

Conclusion

Too Good To Go incarne un produit de rupture ayant un fort potentiel de transformation des comportements de consommation alimentaire. Son évolution montre que l’innovation durable peut combiner croissance économique et responsabilité sociale. En intégrant des stratégies d’optimisation et en s’engageant activement pour des objectifs écologiques, Too Good To Go se distingue en tant qu'acteur de transition vers une économie durable, avec un modèle hybride et inspirant qui pourrait servir de référence pour d’autres initiatives visant la durabilité. Ce cas particulier montre surtout qu'un modèle économique viable peut être en adéquation avec l'écologie ce qui est plutôt rare. Cela soulève des questions d'ouverture pertinentes: Doit-on développer des outils d'optimisation qui permettent d'éviter le surplus ? surtout lorsqu'on constate l'importance de la variante sociale de la distribution à bas prix. Doit-on encourager ou même financer ce fonctionnement (à la manière d'un RSA) ? qui permet à des catégories de personnes fragiles d'accéder à des repas à bas prix.